Combattre la désespérance des jeunes / Construire un meilleur avenir pour la nation
Je suis heureux de l’opportunité qui m’est offerte ce matin de prendre la parole en présence d’un public aussi sélect à l’occasion de l’investiture du nouveau Conseil Exécutif de l’Université d’Etat d’Haïti. Merci à chacun de vous d’avoir répondu à notre invitation. Merci au nom du Conseil de l’Université, au nom du Conseil Exécutif et en mon nom propre.
D’entrée de jeu, nous tenons à féliciter la Commission électorale centrale qui a organisé des élections crédibles et transparentes, en suivant à la lettre la Charte Electorale et les règlements de l’UEH. Toutes instances de notre université méritent nos respects pour cette réalisation. Un bel exemple de maturité institutionnelle.
Nos remerciements vont aussi à l’endroit du Conseil de l’Université qui nous honore de sa confiance pour les quatre prochaines années. Le vice-recteur Blaise, le vice-recteur Poincy et moi-même, nous promettons de ne ménager aucun effort pour que notre université continue à avancer, à jouer son rôle, à se mettre au service des jeunes, de notre pays, de notre nation.
La désespérance de la jeunesse
La cérémonie d’aujourd’hui a lieu dans un contexte difficile, marqué par une longue crise qui s’aggrave chaque jour, touche tous les secteurs et prend les formes les plus variées. Une bonne partie de la population vit dans l’inquiétude, se demandant de quoi demain sera fait. Et pour comble, récemment, une personnalité étrangère n’a pas hésité à affirmer le plus sérieusement du monde : «Haïti n’est pas un pays viable. Son avenir est incertain ».
Et si on ne prend pas le temps de réfléchir, on aurait même pu admettre pour vraies de telles déclarations.
Un exemple tiré de notre domaine d’intervention nous permettra de prendre toute la mesure du phénomène. Dans mon dernier ouvrage intitulé : « L’Université d’Etat d’Haïti et sa quête de modernisation », j’attire l’attention sur ce que j’appelle la « désespérance de la jeunesse ». Les jeunes n’ont guère de repère. Pour eux, c’est l’incertitude la plus complète sur le présent et sur l’avenir. Pourtant, nous le savons, la jeunesse est l’avenir du pays. C’est le cas pour tout pays. Que nous le voulions ou non, ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui sont appelés à nous remplacer et même à nous prendre en charge.
La désespérance de nos jeunes ? L’UEH reçoit 50 000 postulants chaque année. En totalisant la somme des admissions reçues dans nos Facultés et Ecoles Supérieures de Port-au-Prince et de province, notre capacité d’accueil n’atteint pas 10 000 places. Nous absorbons donc moins de 20 % des demandes. Des 40 000 bacheliers restants, une bonne partie est abandonnée à elle-même, une autre s’oriente vers différentes universités et écoles professionnelles publiques et privées (dont un nombre important fonctionne sans aucun contrôle). Ceux qui le peuvent partent étudier à l’étranger, avec les conséquences que vous imaginez au double point de vue économique et idéologique. Un pays pauvre qui consacre ses maigres devises à assurer l’enseignement supérieur de ses enfants, confiant ainsi la formation de ses élites à d’autres pays qu’il enrichit par la même occasion.
Et qu’en est-il des 20% admis à l’UEH ? Sont-ils logés à une meilleure enseigne ?
Ils sont nombreux parmi ces 20% à faire des études dans des conditions difficiles. Tout leur est aléatoire : manger, boire, dormir, soins de santé, encadrement. Sans compter les obstacles liés à la socialisation. L’UEH ne dispose pas tout simplement des ressources appropriées pour adresser les problèmes auxquels les étudiants font face. Pas de cafétéria, pas de dortoir, pas d’assurance santé, pas d’espace de loisirs, pas de centre sportif, … Et aussi pas assez d’encadreurs, ni de conseillers.
Dans ces conditions, beaucoup d’étudiants n’arrivent pas à boucler le cycle d’études. Et ceux qui y parviennent n’ont aucune garantie de décrocher un emploi ou de lancer une entreprise. Cette situation porte certains finissants ou même des diplômés à continuer à étudier, à passer d’une faculté à l’autre, d’un domaine à l’autre, à tourner en rond.
Pour de meilleures conditions d’apprentissage et de vie
Toutes ces raisons ont porté l’UEH à faire un plaidoyer constant et répété et à orienter ses efforts dans le sens de :
- L’augmentation de sa capacité d’accueil ;
- La réforme de ses programmes académiques et leur adéquation avec les besoins de la société, tous secteurs confondus, afin que ses étudiants soient mieux préparés pour intégrer le marché du travail ;
- La mise en place de programmes de cycle court pour répondre à des besoins pressants déjà identifiés ;
- L’accès des étudiants aux stages pratiques dans l’administration publique, le secteur privé, les collectivités territoriales ;
- La création de bibliothèques, d’espaces sportifs et culturels ;
- La construction de restaurants universitaires et la disponibilité de plats à prix réduits ;
- La mise en place d’un programme d’assurance-santé pour les étudiants.
Autant de questions qui préoccupent depuis longtemps les plus hautes instances de l’Université, dont le Conseil, le Conseil Exécutif, les Décanats, les directions du Rectorat. On les retrouve sous forme de projets ou de requêtes dans divers documents dont les projets de budget soumis chaque année aux instances compétentes, le Plan Stratégique de l’UEH, certains Protocoles d’entente conclus avec divers partenaires. On les retrouve aussi dans les résolutions consensuelles des Etats Généraux.
Jusqu’ici, très peu de ces projets ont pu être concrétisés. Et ceux qui ont connu un commencement d’exécution – comme les restaurants universitaires et les initiatives dans le domaine sportif ou culturel – n’ont pas pu être pérennisés.
Si nous parvenons à mettre en œuvre ces projets, disons mieux, quand nous parviendrons à les réaliser, vous pourrez tous en mesurer l’impact. Notre jeunesse en sera le premier bénéficiaire. Elle retrouvera sa fierté, sa dignité et sa générosité. Elle sera spontanément partie prenante des efforts pour mettre notre pays sur les rails du développement. Attendons-nous alors à ce que ceux qui nous traitent aujourd’hui d’Etat paria fassent demain leur mea culpa, leur mea maxima culpa.
La condition professorale
Mais pour que nos jeunes puissent vraiment apprendre et acquérir les connaissances qui leur permettent de remplir leur mission, ils doivent être guidés et encadrés par des professeurs compétents et motivés
A l’UEH, nous faisons beaucoup d’exigences à nos professeurs, en termes de grade académique, de compétence et d’expérience. Mais aujourd’hui, une grande appréhension nous habite : la crainte de perdre beaucoup de nos professeurs. L’hémorragie a d’ailleurs déjà commencé. Au cœur du problème, la question salariale, les conditions de travail, l’érosion drastique des revenus de nos professeurs.
En 2013, l’Université avait pu améliorer de manière substantielle le salaire de ses enseignants. La rémunération minimale pour un professeur à plein temps était fixée à 60,000.00 gourdes, soit à l’époque, 1500 dollars américains avec un taux de 40 gourdes pour un dollar. Aujourd’hui en 2020, avec plus de 120 gourdes pour un dollar américain, les 60,000 gourdes qui n’ont guère bougé valent moins de 500 dollars américains. Après les déductions fiscales réglementaires, ce salaire est réduit à une peau de chagrin. Manger, boire, dormir, écolage des enfants et autres besoins primaires deviennent autant de casse-tête par les temps qui courent pour nos enseignants.
Une situation inquiétante, qui s’aggrave au quotidien. C’est inquiétant sur le plan humain. Inquiétant de constater que des professeurs après tant de sacrifices pour obtenir maitrise, doctorat et post-doctorat n’arrivent pas à vivre décemment, à faire face à leurs obligations de base. Ces professeurs forment nos jeunes. Ils préparent la prochaine génération. Ils tracent la route de l’avenir de notre pays.
C’est inquiétant pour notre institution parce que les professeurs constituent des ressources rares. On ne les trouve pas à portée de main. Ils peuvent être sollicités par d’autres institutions qui leur offrent le double, voire le quintuple de leur salaire à l’UEH.
Des salaires décents assortis d’avantages sociaux pour notre personnel académique et non académique
Il est important, primordial, pour la survie de notre université, que l’Etat leur accorde de meilleurs traitements afin de les motiver à continuer à former nos jeunes, à les encadrer, à les conseiller. Ils doivent être mieux rémunérés. Il faut faire du professeur d’université un métier où il est possible de faire carrière. Ceux qui le veulent pourront s’y consacrer pleinement, sans s’exposer à de mauvaises surprises, sans crainte de manquer de tout au soir le de leur vie. Car ils pourront compter sur un salaire décent et des avantages sociaux qui correspondent aux exigences de cette activité si importante et si complexe.
Ce n’est pas un objectif utopique, idéaliste. Il est concret, réalisable, à notre portée. Et nécessaire.
Ces mêmes considérations concernent également le personnel non enseignant de l’UEH, de l’employé au plus bas de l’échelle en terme hiérarchique jusqu’au secrétaire général de l’Université, en passant par les Directeurs, les Chefs de service et de section, les secrétaires, chauffeurs, ménagers, gardiens. Ils sont tout aussi importants pour la bonne marche de l’Université. On les retrouve à tous les niveaux de l’administration et dans tous les processus académiques et non académiques offrant un support indispensable aux professeurs, aux chercheurs, aux étudiants, à l’Office Central, aux dirigeants. Eux aussi ont droit à un salaire décent pour pouvoir faire face à leurs besoins et à leurs obligations. Eux aussi sont affectés par l’inflation galopante.
C’est peut-être le moment de révéler certaines vérités qui ne sautent pas toujours aux yeux.
Savez- vous que l’université d’Etat d’Haïti est l’une des rares institutions publiques où beaucoup de dirigeants ne disposent pas de véhicule pour le fonctionnement de leurs unités. ? Ils n’ont ni véhicule de service, ni véhicule de fonction. Nous parlons de doyens, vice-doyens, de Directeurs et Assistant-directeurs de facultés et Ecoles, de directeur de département d’études et de recherches, de directeurs et assistants- directeurs centraux au rectorat.
L’UEH, parent pauvre du secteur public ?
Savez-vous que l’UEH est l’une des rares institutions publiques où la majorité du personnel ne reçoit pas de cartes de débit ? Et que ceux qui les reçoivent n’en tirent qu’un montant dérisoire tous les 6 mois ?
Savez-vous que l’UEH est l’une des rares institutions publiques où les dirigeants – nous parlons de recteur, vice-recteurs, doyens, vice-doyens, responsables de campus – acceptent de ne pas recevoir l’intégralité des indemnités prévues par la loi en vue de faire fonctionner l’institution ?
Nous, professeurs, membres du personnel administratif, dirigeants, nous aimons profondément notre université. La majorité d’entre nous estiment avoir une dette envers notre Alma Mater pour avoir contribué à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Toutefois, il y a une limite que nous ne pouvons pas dépasser. Notre précarité s’approfondit chaque jour plus au point qu’il devient de plus en plus difficile de satisfaire aux exigences de notre métier.
Nous savons qu’il est pratiquement impossible de redresser la barre d’un seul coup. Néanmoins, il est indispensable, il est urgent d’entamer la remontée, de lancer des signaux clairs et crédibles et de faire un minimum. Ce minimum qui relancera notre motivation, qui nous déchargera de l’obligation de lorgner vers des activités parallèles et qui nous offre le levier nécessaire à la bonification de nos salaires au sein de l’Université elle-même à travers la participation à des recherches, études et autres activités commanditées dont une partie du produit pourrait nous revenir, comme le permet la Charte des Droits et des Devoirs des Enseignants de l’UEH.
Nous sommes conscients que l’amélioration des salaires ne peut être que progressive. En attendant, il existe des avantages sociaux plus immédiatement faisables et susceptibles d’améliorer la vie de nos cadres et employés. On peut concevoir un plan spécial pour l’achat de logements, de voitures et d’autres biens durables. Tout comme la mise en place d’une bonne assurance-maladie en faveur des employés et leurs familles, plus crédible que celle de l’OFATMA. Des incitatifs capables de redonner goût au travail et contribuer, ce faisant, à permettre à l’UEH de jouer pleinement son rôle dans la société.
La recherche à dynamiser et à rapprocher des problématiques nationales
Nous parlions tantôt de recherche et le moment présent nous rappelle une fois de plus l’importance de la production de savoirs, l’une des missions de l’Université, dans notre vie en tant que peuple, en tant que pays, en tant que nation. S’il y a quelque chose de positif qu’on peut tirer du coronavirus, c’est qu’elle nous rappelle l’existence chez nous de potentialités, de richesses que nous négligeons de valoriser. Au moment où tous les pays et tous les grands centres cherchent des remèdes pour freiner le coronavirus, nous aussi, petit pays, nous pouvons dire que nous sommes aussi dans la course. La commission d’évaluation des remèdes traditionnels contre la COVID-19 mise en place par l’UEH a remis son rapport récemment. L’une de ses conclusions les plus pertinentes est que notre population sait ce qu’elle fait et montre une parfaite connaissance des feuilles, des plantes, des racines, des fleurs qu’elle utilise et sa dextérité à réaliser les combinaisons les plus rationnelles. C’est la recherche qui nous permet de nous en rendre compte. C’est la recherche qui autorise nos scientifiques à renforcer la confiance à la population en elle-même, en ses connaissances, en ses pratiques. C’est la recherche qui peut nous permettre de dire que, nous aussi, petite université, nous pouvons prétendre participer à cette quête universelle de solutions contre la terrifiante pandémie.
Ce n’est qu’un petit exemple de ce que la recherche peut nous permettre d’accomplir. La recherche peut nous aider à mieux connaître notre pays, à découvrir ses richesses et ses capacités, à conserver et valoriser notre patrimoine, à participer à l’élaboration des politiques publiques pertinentes et à leur mise en œuvre réussie. La recherche nous permet également de contribuer à l’avancement de la science universelle. La mission de recherche de l’université est fondamentale. C’est pourquoi nous ne cesserons jamais de plaider en faveur de la mise en place d’un fonds de recherche substantiel, pour renforcer nos infrastructures de recherche et notre capacité à former des chercheurs de haut niveau au sein de notre université.
Dans cette perspective, la Direction des études post-graduées à l’UEH doit être redynamisée en vue d’assurer la relève, en termes de professeurs et de chercheurs. Il faut renforcer nos programmes de maîtrise et de doctorat. Il faut mieux encadrer nos laboratoires de recherche. Nous n’oublions pas les Editions de l’UEH qui s’occupent de la diffusion de la production scientifique au sein de l’institution. Nous devons synchroniser les sujets de mémoire et des thèses avec des problématiques qui intéressent tels ministères, telles entreprises, telles associations, tels secteurs. Il faut que nos recherches, nos études apportent des solutions aux problèmes que traverse la société ou traitent des préoccupations de nos compatriotes.
Voilà pourquoi le contrat-plan signé entre l’Etat haïtien et l’UEH prévoit que les ministères et organismes publics sollicitent en priorité l’expertise de l’Université d’Etat pour tout projet lie à son champ de compétence. Une stratégie gagnant-gagnant pour les deux parties. L’Etat serait alors assure d’un travail de qualité qui lui reviendrait meilleur marche tandis que l’Université en profiterait pour valoriser l’expertise et la capacité de ses enseignants, chercheurs et étudiants.
Nous sommes toujours disposés à entretenir une fructueuse collaboration réciproquement avantageuse avec toutes les institutions publiques
Nous sommes également disposes à collaborer avec tous les autres secteurs Le secteur privé, les associations professionnelles, les associations civiques, les organisations internationales, les ambassades, les ONG et tous les autres partenaires qui souhaitent recourir à l’expertise de l’UEH.
Le campus de Damiens et les locaux des Facultés
Si nous parlons de réforme académique, de recherche, de conditions de travail, de conditions de vie, nous ne pouvons mettre de côté les infrastructures, notamment les espaces où se déroulent les activités de l’université.
En 2010, avec le séisme, nous avons perdu la majorité des bâtiments logeant nos facultés à Port-au-Prince. Nous avions décidé de reconstruire autrement. Nous avions projeté de matérialiser le projet de construction du campus de Damien. Nous parlions alors de refonder l’Universite, de regrouper les Facultés sur un seul espace, avec en perspective une vie académique et scientifique plus animée. En ce moment post-séisme, où le monde entier était au chevet d’Haïti, nous avons eu droit à beaucoup de promesses. De hautes autorités nationales et étrangères nous avaient donné la garantie de la construction le plus vite possible du campus de Damien sur nos 60 hectares de terre.
Nous nous sommes mis au travail : études de sols, sécurisation et clôture de 30 des 60 hectares, plan de masse, pose de première pierre, démarches interminables de financement, … Aujourd’hui, en 2020, 10 ans plus tard, nous attendons encore la première contribution pour réaliser les études appropriées et les premières actions indispensables pour mettre le terrain en état. Nous n’arrivons toujours pas à poser une deuxième pierre.
En attendant, les facultés fonctionnent toujours dans de mauvaises conditions. Abandonnées à leur sort, elles se trouvent obligées d’entamer individuellement, avec l’appui du Rectorat, les démarches, auprès de la communauté internationale surtout, pour reconstruire ou réhabiliter leurs locaux, un à un. Aujourd’hui, seule la Faculté de Médecine a été vraiment reconstruite. La FDS et la FAMV sont en bonne voie et attendent les fonds de contrepartie promis par l’État. La FASCH vient de réhabiliter son bâtiment académique. Les autres, telles que la FLA, l’ENS, l’INAGHEI, la FDSE, espèrent toujours. Faut-il encore démontrer l’importance de disposer d’espace de travail et d’apprentissage attrayant et confortables pour nos étudiants, nos professeurs, notre personnel non académique ?
Une question qui revient souvent : si les facultés sont en train de se reconstruire un à un ou s’orientent dans ce sens, faut-il encore parler du campus de Damien? Ne serait-ce pas du gaspillage? Le Conseil de l’université s’est déjà penché sur la question et y a répondu de manière nette et claire dans une résolution votée en 2018. Le campus de Damien est toujours nécessaire. Il deviendra le principal campus de l’UEH dans le département de l’Ouest même si nous pouvons disposer d’autres campus, d’autres espaces, comme nos facultés. Et il ne sera pas de trop.
Nécessaires espaces pour le développement de l’Université
Parce que s’il nous faut avoir des dortoirs pour les étudiants, des résidences pour les professeurs; si nous devons aménager des terrains de football, de basket-ball, de tennis et autres sports, des espaces de loisirs, de grands auditorium pouvant accueillir mille, trois mille, cinq mille personnes, si nous avons besoin d’espace pour développer l’Université se développe, pour accueillir plus d’étudiants, pour mettre en place de nouveaux programmes, pour créer des formations courtes, des formations techniques et des formations professionnelles supérieures dans tous les domaines, c’est Damien qui nous offre toutes ces possibilités. Damien peut nous permettre de libérer de l’espace dans les facultés si nous décidons d’y organiser tous les cours mise à niveau. Et puis, après 5 ans, 10 ans, le campus de Damien lui-même pourrait se révéler trop petit. Surtout si nous décidons vraiment de poursuivre le projet des « Propédeutiques Générales » qui a déjà fait l’objet de discussions avancées avec la Présidence, les UPR, l’INFP, le MENFP. Il faut le souhaiter ardemment car les Propédeutiques permettraient à tous les bacheliers d’accéder à une formation supérieure orientée soit vers le professionnel soit vers l’Université. Dans cette perspective, de moins en moins de jeunes se sentiraient obligés de se tourner vers l’étranger après leur baccalauréat. Notre pays assumerait alors ses responsabilités dans la formation de sa jeunesse, dans la formation de ses élites tout en stoppant l’hémorragie de devises en direction d’universités étrangères. Nous en profiterions également pour cesser de gaspiller beaucoup de jeunes cerveaux qui ne peuvent pas poursuivre leurs études pour des raisons simplement financières.
Si nous combinons tous ces projets avec la capacité technologique dont nous pourrions disposer pour promouvoir l’enseignement à distance, pour toucher plus d’étudiants, partout dans notre pays, nous pourrons vraiment marquer une différence, permettre l’éclosion de beaucoup de ces génies dont nous ne soupçonnons pas l’existence, leur ouvrir la voie pour valoriser leurs talents, leurs capacités et pour participer dans le développement de notre Haïti.
Vous êtes probablement en train de vous dire : les besoins sont énormes et les projets multiples. Où trouverons-nous les ressources nécessaires ?
Rappelez-vous notre point de départ : la désespérance de nos jeunes. Le gaspillage de ressources sous toutes les formes. La fuite de cerveaux formés aux frais de la république, le gaspillage de diplômés qui se retrouvent sans emploi, le gaspillage de devises, pour accommoder les jeunes bacheliers, obligés de faire des études à l’étranger, le gaspillage occasionné par la non utilisation de compétences locales à la fois effectives et moins chères en faveur d’experts étrangers grassement payés, le gaspillage de richesses qu’un simple effort de recherche permettrait d’identifier et de valoriser. Sans compter cet autre gaspillage, vaste, immense, énorme : 85% des cadres formés en Haïti partent systématiquement vers l’étranger. Nous répétons cela depuis si longtemps que nous en sommes venus à le croire normal. C’est un gaspillage monumental.
Nous avons également mentionné le risque de perdre des enseignants et des membres du personnel non-enseignant, attirés par de meilleures conditions de travail ailleurs. Les perspectives de la recherche à l’université. La nécessité de construire un meilleur avenir pour notre pays. Nous avons tous l’obligation de rejeter l’idée selon laquelle qu’Haïti n’est pas un pays viable.
Beaucoup de défis à relever, donc. Ils ne concernent pas seulement l’UEH mais tout un pays envers lequel nous avons des dettes et des responsabilités. Un pays qui a joué un rôle fondamental dans l’histoire de l’humanité. Ce pays dont l’autre (Christine Taubira) disait qu’il « est la conscience du monde ».
Deux à trois pour cent (2-3%) du budget national pour l’UEH
Où donc trouver les ressources?
Nous nous adressons en tout premier lieu à l’Etat. Nous sommes une université d’État. L’article 208 de la Constitution oblige l’État à financer le fonctionnement et le développement de l’Université d’État d’Haïti. Nous sommes l’un des meilleurs outils dont dispose l’État pour changer la situation de notre pays et lui préparer un avenir meilleur. Il y a donc suffisamment de raisons pour que l’État place désormais l’Université d’État en tête de sa liste de priorités.
Nous savons bien que l’État ne peut tout faire. Nous lui demandons dans un premier temps de répondre à nos besoins de base afin que nous soyons armés pour partir à la recherche d’autres ressources auprès d’autres partenaires.
C’était l’idée fondamentale du Protocole d’Entente UEH-ETAT. Un des points négociés avec l’Etat dans le cadre de ce protocole est la consécration d’une fourchette de 2 et 3% du budget national à l’UEH. Ainsi nous ne serions pas « oubliés » lors de l’élaboration du budget national et des négociations y relatives. Nous pourrions alors mieux planifier, identifier nos possibilités, définir nos priorités de dépenses, de savoir quoi chercher ailleurs, exécuter des projets sur plusieurs exercices. Nous ne voulons pas insister sur les raisons pour lesquelles cette clause des 2 à 3 % du budget a été laissée sur les galées et le protocole non encore appliqué. Au moment où le Conseil des ministres s’apprête à approuver le budget national pour l’exercice 2020-2021, l’Université d’Etat d’Haïti demande à l’Etat d’adopter une décision historique devant être inscrite dans les règles de répartition du budget selon laquelle, désormais, à partir de cette année au moins 2% du budget national seront alloués à l’Université d’État d’Haïti.
Mais les défis dont nous parlons ne concernent pas seulement l’État. Ils interpellent l’ensemble de la société. D’abord, les élites. Car si notre jeunesse demeure dans cet état de désespérance, si nous ne lui offrons pas les conditions appropriées pour jouer correctement son rôle social et générationnel naturel, nous nous mettons tous en danger. Toute la société, toute la nation. Nous lançons donc un appel solennel aux entreprises privées, aux banques, au secteur privé en général dans ses dimensions formelles et informelles, aux associations socioprofessionnelles, aux associations civiques, aux ONG et à l’ensemble de la société civile à participer à ce combat.
Nous pouvons travailler ensemble afin d’offrir des stages pratiques à nos étudiants, élaborer conjointement et mettre en œuvre des formations qui correspondent le mieux aux besoins de chaque secteur, discuter sur la meilleure manière d’utiliser mieux les compétences et l’expertise de nos diplômés et de nos enseignants.
A ce combat, nous voulons associer les pays et les organisations internationales qui veulent nous soutenir. Tout en saluant la nouvelle vision dégagée de l’enseignement supérieur et la reconnaissance de son importance dans le développement, nous aimerions sentir que cette nouvelle vision soit plus présente dans les activités de développement en cours en Haïti. Nous souhaitons que ces pays et organisations se rapprochent de nos universités, dans les domaines de la formation, de la recherche et des études sur le pays. Nous aimerions qu’ils cherchent à utiliser plus de ressources locales. Nous espérons également qu’ils soutiennent tous les projets envisagés: projets de construction de campus, d’infrastructures, de réforme académique, de recherche, de bibliothèque, de restauration, de stages, le projet de formation à distance, etc.
Je voudrais adresser un mot spécial à nos anciens étudiants, nos anciens diplômés et anciens professeurs de l’UEH. Que vous soyez en Haïti ou à l’étranger, que vous occupiez des postes élevés dans le secteur public, dans le secteur privé, dans des organisations internationales, que vous soyez des professionnels ou des citoyens ordinaires, notre université, votre université, votre Alma Mater, a besoin de vous. Venez l’aider à s’épanouir. Venez redonner de l’espoir aux jeunes de notre pays. Venez aider à créer un meilleur lendemain pour tous. Nous sommes heureux d’annoncer aujourd’hui la création d’une Association des anciens de l’UEH. Partagez la nouvelle. Faites la connaitre autour de vous. Rassemblez-nous au sein de cette Association pour tenter de remettre à votre Université ce qu’elle vous a donné, et qui a contribue à faire de vous ce que vous êtes aujourd’hui.
Nous n’oublions pas nos partenaires universitaires en Haïti comme à l’étranger, nos collègues de la CORPUHA, des organisations universitaires comme l’AUF, ARES CCD, d’autres universités haïtiennes, des universités en Belgique, en France, au Canada, en Espagne, en Amérique latine, aux Caraïbes, en Afrique, en Asie. Nous sommes disponibles pour une collaboration plus forte dans tous les domaines.
Prête à rebondir
L’Université d’État d’Haïti est prête à franchir une nouvelle étape de son existence. Les Etats généraux de l’UEH ont mobilisé toutes les entités de Port-au-Prince et de province, toutes les catégories de notre personnel pour dire comment elles voient notre UEH, comment elle devrait être, quelle route emprunter, et quel rôle jouer dans la société. Ces assises ont tracé la voie de la réforme que nous attendons depuis plus de 20 ans, à travers des résolutions consensuelles approuvées par le Conseil de l’Université. Elles constitueront la principale boussole du nouveau Conseil exécutif. Nous allons relancer les travaux des commissions thématiques lancées en août 2019 : Commission académique, Commission de recherche, Commission plan de développement, Commission loi organique, Commission des entités de province, Commission sur les conditions de vie et de travail, Commission de suivi. L’un des premiers chantiers que nous allons lancer c’est l’avant-projet de la loi organique qui sera le principal outil de la mise en place de la réforme. Nous ne tarderons pas à entamer la restructuration et la régénération de nos facultés et écoles de droit, comme le réclament les professionnels du droit. Partout où l’UEH est présente, la qualité et l’excellence doivent être de mise.
Permettez-moi de partager avec vous deux autres bonnes nouvelles :
– Nous saluons la création officielle de l’Association des Professeurs de l’Université d’État d’Haïti (APUEH). Elle vient tout juste d’élire son comité exécutif et plusieurs comités thématiques. Toutes nos félicitations. C’est un grand pas vers la restructuration de l’UEH.
– Nous saluons également la création de l’Association des Anciens de l’UEH, qui est en bonne voie, comme l’exige la résolution des Etats généraux. Toutes nos félicitations au Comite d’Initiative.
Ce qui nous permet d’affirmer que, malgré les déficits, malgré la précarité, malgré les difficultés, nous aspirons à vivre. Malgré l’obscurité, nous cherchons un chemin, la voie.
Si l’on ajoute les récentes élections qui se sont déroulées dans la sérénité, dans la transparence, dans la lucidité, on peut dire que l’UEH est prête. Prête à Se réformer, prête à faire avancer ses projets, à jouer son rôle dans la société, prête à contribuer à sortir le pays de l’impasse actuelle. Nous sommes prêts, surtout si l’Etat et la société nous écoutent, surtout si nous trouvons les ressources pour concrétiser toutes les idées, tous les projets évoqués aujourd’hui.
Fritz Deshommes
Recteur Port-au-Prince, 14 août 2020
En attendant, le vice-recteur Blaise, le vice-recteur Poincy et moi, avons le cœur rempli d’espoir. A toute la communauté de l’UEH, à tous les officiels, à tous les amis qui nous accompagnent ce matin: Merci beaucoup pour votre soutien. Merci d’avance pour le travail que nous allons accomplir et les actions que nous allons entreprendre ensemble. Pour que plus jamais l’on ne vienne dire qu’«Haïti n’est pas viable». Et enfin, pour que notre pays redevienne une lumière, un espoir, une référence.
Merci beaucoup.