Monsieur le Recteur de l’Université d’État d’Haïti,
Messieurs les vice-recteurs,
Mesdames, messieurs les membres du Conseil de l’Université d’État d’Haïti,
Monsieur le Doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques,
Monsieur le doyen de la Faculté d’odontologie,
Messieurs les vice doyens de la faculté de droit,
Madame la ministre chargée de l’Assainissement de la fonction publique,
Monsieur le Protecteur du citoyen,
Monsieur le Directeur général du ministère de la Justice,
Monsieur le président du conseil scientifique de la chaire Monferrier Dorval,
Mesdames messieurs les membres du corps judiciaire,
Mesdames messieurs les professeurs,
Consœurs et confrères du Barreau de Port au Prince,
Distinguées invités,
Les institutions ne s’improvisent pas. Ainsi l’expression de la volonté générale,
savamment articulée à travers divers mécanismes de formulation, de discussion et
d’adoption consensuelle, est au fondement de la Constitution. Elle en constitue, pour
ainsi dire, le principe et la source d’énergie.
De même, la chaire Monferrier Dorval sur la Constitution a sa propre genèse dans un
problème de fond et une question d’actualité.
Un problème de fond d’abord ! La fécondité en matière d’élaboration
constitutionnelle pourrait se donner comme la manifestation d’une création continue
de mécanismes innovants en la matière. Pourtant, elle ne doit pas nous illusionner. Cette
richesse apparente trahit souvent un autoritarisme archaïque. Elle reflète, au cours de
notre histoire, la volonté continue de s’ériger au-dessus du socle constitutionnel
fondamental par la confection d’une norme sur mesure. Elle convoque, en arrière-plan,
des luttes politiques intestines antithétiques à la construction de l’intérêt général et
résolument inscrites dans la défense d’oligarchies insoucieuses du développement
global.
Sous ce rapport, l’étude des textes constitutionnels qui parsèment cette histoire, offre
un tableau d’une telle variété qu’elle résiste aux efforts de taxinomie des
constitutionnalistes les mieux avertis. En sorte que pourrait même en émerger un conflit
de classifications. Pourtant, à quelques exceptions près, une lame de fond irrigue ces
textes, un noyau dur persiste, résiste, sous le voile de la rémanence de l’arbitraire qui ne
perçoit, dans la diversité des formes constitutionnelles, que l’innocuité d’un vaccin mille
fois testé.
Mais la Constitution de 1987 pose un formidable défi à ce fleuve tranquille de l’histoire
constitutionnelle. Elle dérange la carte de pouvoirs qu’on croyait définitivement établis
dans une sacro-sainte hiérarchie en exposant notamment l’exécutif au contrôle du
Parlement, lequel, en retour, semble délesté de tout contrôle institutionnel véritable.
Elle ébranle les assises du droit constitutionnel traditionnel par la démultiplication du
suffrage. Elle fait émerger un sujet local en contrepoint d’une participation outrancière
liée à la décentralisation. Elle porte opiniâtrement l’emphase sur les droits de la
personne comme valeur première. Et puis, et puis, elle accentue la rigidité du cadre
juridique fondamental en introduisant ce que les Allemands nomment des clauses
d’éternité par l’affirmation de l’intangibilité du caractère démocratique et républicain de
la Constitution. On ne s’étonnera donc pas que cette ultra rigidité ait été perçue comme
une barrière à tout amendement par le professeur Monferrier Dorval lui-même. Ce
dernier n’aura pas hésité à recourir à la métaphore du verrou, allant jusqu’à arguer que
les constituants avaient verrouillé la Constitution avant d’en jeter la clé.
Je ne m’étendrai pas ici sur le caractère idéaliste de la vision des constituants de 1987,
déterminées à faire un président édenté, dans l’ignorance ahurissante du phénomène
majoritaire qui nous enseigne qu’un même régime constitutionnel peut héberger des
systèmes politiques totalement différents. Je ne m’attarderai pas non plus ici sur la
métaphore du professeur Dorval que pour signaler le fait qu’un amendement a pu
quand même avoir lieu en 2011. On suppose, en l’espèce, que la clé avait été retrouvée
après un certain temps et qu’elle n’avait été qu’égarée.
Une question d’actualité ensuite ! La notion de « réforme constitutionnelle » est
devenue un pont-aux-ânes, un cliché tellement prégnant dans le discours commun qu’il
pourrait paraître hérétique de ne pas y renvoyer. Cependant, il n’est pas indiffèrent de
rappeler que la Constitution de 1987 a eu ses pourfendeurs dès sa naissance. Aucune
période de grâce ne lui avait été accordée par certains qui s’étaient vite précipités pur lui
jeter la première pierre. Les raisons évoquées étaient nombreuses. Elles tenaient
notamment à la pesanteur institutionnelle, à l’excès démocratique, au coût excessif de
sa mise en œuvre. A l’épreuve, d’autres, jusque-là hésitants à attaquer cet édifice
normatif chargé d’histoire, ont fini par estimer qu’il était la cause de tous nos maux et
que sa lapidation devait être menée à terme.
Pour autant, la question est-elle aussi limpide ? Cette évaluation, somme toute, de
circonstance, teintée d’idéologie avouée ou inavouée, abritant des préférences
technocratiques et donc aristocratiques, a-t-elle le mérite de l’objectivité académique ?
La multiplicité des constitutions au cours de notre histoire devrait nous prémunir de ce
reflexe consistant à voir dans la norme la raison des pratiques qui lui sont étrangères.
Par ailleurs, la reconnaissance du fait qu’une constitution est un projet de société, traduit
en contrat collectif et transcrit dans une forme juridique adéquate, devrait nous inciter
à une sorte de modération par provision. Mais le mouvement de liquidation semble
avoir le vent en poupe en raison de la coagulation paradoxale d’objectifs divergents et,
il faut le concéder, de l’effondrement institutionnel qui servirait, en quelque sorte, de
caution suffisante pour en finir avec la Constitution de 1987.
C’est à la croisée de ces chemins que la chaire Monferrier Dorval, à mon sens, devrait
prendre sa place, par le développement d’une réflexion soutenue sur notre histoire
constitutionnelle, par une analyse sans concession du fonctionnement des institutions
politiques et par la production de propositions idoines en réponse aux problèmes de
notre temps. Il ne saurait donc être question que cette chaire se détermine par je ne sais
quelle urgence politique déclarée.
Le temps long de la réflexion ne correspond pas à celui de l’urgence. L’impératif
politique ne saurait se substituer à un impératif catégorique. Pour mieux éclairer notre
présent, la lumière doit partir loin derrière. Les craintes excitées par le moment politique
ne doivent pas posséder les travailleurs du savoir intellectuel dont l’œuvre, en matière
de droit constitutionnel, quoiqu’inscrite dans la conjoncture, est appelée à la dépasser.
Je vous remercie de votre attention.
Patrick Pierre-Louis
Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince