« Haïti : Covid-19 et vaccination, regard croisé de la biomédecine et des humanités médicales », tel a été le thème central du colloque organisé par le Laboratoire Langues, Discours et Représentations (LADIREP) le vendredi 10 décembre 2021 dans les locaux de la Direction des Etudes Postgraduées (DEP). Par ce colloque, le laboratoire voulait apporter une certaine lumière sur la nouvelle réalité marquée par l’apparition de la Covid-19 et les mesures adoptées à cet effet en Haïti et ailleurs.
En effet, depuis l’annonce des deux premiers cas de Covid-19 en mars 2020 en Haïti, cette pandémie n’a cessé de susciter de remous dans les coins et recoins du pays. Certaines personnes pensent que le virus n’est pas présent en Haïti. En conséquence, elles adoptent un comportement plus ou moins nonchalant par rapport aux mesures barrières édictées par les autorités sanitaires. Tandis que d’autres qui y croient, mais développent une certaine réticence quant à certaines solutions envisagées par la médecine conventionnelle, notamment le processus de vaccination mis en place à travers le monde pour éviter que les personnes infectées développent les formes les plus graves de la maladie découlant de la Covid-19.
Basé sur quatre axes de réflexion, ce colloque a réuni des chercheurs d’horizons divers qui ont chacun travaillé sur la thématique, notamment le programme vaccinal. Professeur Ronald Jean-Jacques, spécialiste en psychopédagogie, intervenant sur le thème : « L’opinion haïtienne du coronavirus, des personnes les plus aux moins éduquées » a en quelque sorte fait part des résultats de l’enquête de perception conduite sur 34 communes des 10 départements géographiques du pays. Selon ses dires, il en est ressorti que les opinions et perceptions des différentes couches (qu’il soit des universitaires ou non scolarisés) de la population ne sont pas significativement différentes sur le coronavirus, les gestes barrières et le vaccin contre la Covid-19. En ce sens, pour lui, une certaine similarité émerge dans les différentes catégories de personnes interrogées.
Quant au professeur Marc Félix Civil, médecin et docteur en philosophie, intervenait sur le thème : « Vaccination et Covid-19 en Haïti- Quelle posture éthique adoptée : naturaliste ou normativiste ? » Il a lui aussi fait valoir les résultats d’une étude menée. Pour lui, la posture éthique naturaliste basée sur les données objectives ne semble pas être le meilleur moyen pour conduire les Haïtiens (nes) à se faire vacciner contre la covid-19. Il préconise un changement de paradigme. En ce sens, il propose une approche beaucoup plus intersubjectiviste relevant du normativisme éthique qui, d’après lui, parait plus appropriée pour changer le comportement de nos compatriotes en matière de vaccination contre la pandémie. « On ne doit pas rester dans les bureaux pour concevoir des documents. On doit intégrer la communauté dans le processus. On doit organiser des assises un peu partout pour donner la parole aux gens pour qu’ils puisent comprendre et en retour accepter de se faire vacciner », a-t-il martelé. Toutefois, Dr Civil reconnait dans son travail que la covid-19 a été accepté par la population dans sa dimension ontologique, c’est-à-dire comme maladie théorique. A ce titre, les gens ont compris la nécessité d’appliquer en partie la prévention primaire, notamment les geste barrières. Cependant, quand il s’agit de vaccination, le doute plane à divers niveaux. Par ailleurs, au niveau de la prévention secondaire (Dépistage) et celle tertiaire (Traitement), le professeur Civil a mentionné qu’aucune opposition n’a été démontrée.
Le professeur Odonel Pierre-Louis, docteur en philosophie, intervenait sur le thème : « La population haïtienne face au Covid-19 : Entre confiance dans les connaissances et pratiques médicales traditionnelles et doute au regard des connaissances et pratiques médicales conventionnelles ». Il a surtout évoqué la grande méfiance qui s’installe chez les personnes enquêtées vis-à-vis des pratiques médicales conventionnelles, notamment le vaccin anti-covid-19. Professeur Pierre-Louis croit que ce programme s’est heurté contre les représentations de tous genres de nos compatriotes qui constituent pour eux des alibis pour ne pas se faire vacciner. Il a avancé comme fait le nombre de personnes vaccinées en Haïti soit moins de (100 000) depuis la réception des 500 000 doses de vaccin offertes par les Etats-Unis dans le cadre du programme Covax. Il poursuit pour dire que le refus est tellement sans égal chez les Haïtiens, Haïti se trouvait dans l’obligation d’échanger une quantité de ses doses avec d’autres pays nécessiteux malgré la faible quantité reçue par rapport à sa population estimée à plus de 11 000 000 d’habitants.
Dr Ernst Noël, spécialiste en virologie, pour sa part, s’en prend aux tenants du programme de vaccination comme moyen pour se protéger contre la Covid-19. Avec une population composée de plus de 65% de jeunes, il dit ne pas comprendre cet acharnement des autorités haïtiennes à imposer le vaccin anti-covid-19 comme solution à la pandémie si ce dernier ne peut pas immuniser ses preneurs. En ce sens, il reste persuadé que la meilleure chose à faire, ce n’est pas la médecine préventive, mais plutôt l’application de la médecine curative ou dans une certaine mesure une méthode mixte qui prend en compte non seulement la curation, mais aussi la prévention.
Le Dr Evens Datus, spécialiste en évaluation et analyse des politiques, des programmes de santé, s’est lancé dans une posture critique des stratégies de mises en œuvre du programme de vaccination anti-covid-19. Dans une telle situation, il a fait remarquer qu’il faut toujours se méfier des connaissances scientifiques pour s’adonner beaucoup plus aux connaissances expériencielles. Comme le professeur Civil, il met l’accent sur l’importance des opinions et des intentions des membres d’une communauté donnée dans tout projet les concernant. Vu la réticence de la population haïtienne à se faire vacciner, le Dr Datus se demande si les autorités publiques haïtiennes ont vraiment tenu compte de ces facteurs communautaires avant de se jeter dans ce programme vaccinal contre la covid-19.
Plusieurs autres spécialistes ont pris la parole à cet événement scientifique, notamment, Dr Jean Hugues Henrys sur le thème : « Epidémiologie de la Covid-19 » ;Dr Bernard Liautaud sur le thème : « Vaccination contre la Covid-19 : Risques, Bienfaits et perspectives » ;Dr Jacques Boncy sur le thème : « La détection des pathogènes émergeants et leur caractérisation » ;Caroline Catherine Calixte, Pharmacienne de profession sur le thème : « Motifs de comportements individuels durant la Covid-19 en Haïti » « Se mèt kò ki veye kò ». Les étudiants en psychologie de la Faculté des Sciences Humaines de l’UEH, Rodginie Dorcent et Bendgy Mathieu ont été aussi de la partie sur le thème : « Hésitation vaccinale : Perception de la population haïtienne du vaccin anti-Covid-19. A noter que les actes du colloque seront publiés au cours de l’année 2022.
Unité de communication de l’UEH