L’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), en partenariat avec l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), Université INUFOCAD et l’Ecole Supérieure d’Infotronique d’Haïti (ESIH) a réalisé le lundi 18 mars 2024 une table ronde virtuelle autour du thème : « En quoi la Francophonie pourrait aider Haïti à franchir cette étape cruciale de son histoire ? Cette table ronde a réuni comme intervenants : professeur Fritz Deshommes, recteur de l’UEH, Professeur Patrick Attié, directeur de l’ESIH et Professeur Vijonet Déméro, recteur de l’INUFOCAD et un large public virtuel.
D’entrée de jeu, le Recteur Deshommes a dit son souhait de voir la Francophonie se mobiliser en faveur d’Haïti compte tenu de la situation difficile que connait le pays. Pour expliciter son propos, le Recteur de l’UEH se fait guider par 3 questions essentielles :
- Pourquoi Haïti ?
- Comment en est on arrive là ?
- Que peut faire la Francophonie ?
Le recteur Deshommes croit que dans le contexte actuel Haïti nécessite la solidarité des nations francophones sœurs. A cet effet, ces échanges lui ont d’abord servi de prétexte pour resituer pour ses interlocuteurs l’importance d’Haïti pour la Francophonie. « Haïti a contribué de manière décisive à la constitution, au renforcement et au rayonnement de la Francophonie, soit comme inspirateur soit comme soutien des mouvements de libération qui ont conduit à la création de plusieurs Etats francophones, soit comme défenseur de la langue française et promoteur principal de son intégration dans d’importantes assises internationales (ONU, OEA, notamment), soit comme porteur d’éducation et de savoir dans le monde francophone, du Québec à l’Afrique Francophone ». a-t-il relaté.
Professeur Deshommes ne s’est pas contenté de montrer l’importance d’Haïti au niveau de la Francophonie, il a fustigé la logique interventionniste appliquée depuis toujours par des pays soi-disant amis vis-à-vis d’Haïti. « … Il faudrait même parler d’interventionnisme, car souvent les Haïtiens n’ont même plus le privilège de prendre les décisions qui les concernent ni de choisir leurs dirigeants. Et c’est cet interventionnisme sempiternel et multiforme qui a empêché le pays, à plusieurs moments de son histoire, de trouver sa voie ou de cheminer dans la voie qu’il s’est choisie. L’exemple le plus récent est le sort réservé au Projet National conçu au cours de la période 1986-1987 dans le cadre du vaste mouvement démocratique et populaire mobilisé à la suite du départ des Duvalier et dont les éléments les plus pertinents sont consignés dans la Constitution Haïtienne de 1987 votée massivement par la population », a-t-il critiqué.
Le Recteur Deshommes revient alors sur son idée première : la mobilisation de la Francophonie en faveur d’Haïti. Il indique 3 aspects que devrait aborder cette mobilisation : le regard porté sur Haïti, l’appui à la sécurité et l’appui à la mise en œuvre du Projet National d’Haïti.
Sur le premier point, le conférencier précise :
« Une bonne partie de nos déboires vient de profonds malentendus et de traumatismes engendrés par l’accession d’Haïti au statut d’Etat indépendant, en complète contradiction avec l’ordre international d’alors. Dans certains milieux, Haïti est encore considérée comme une anomalie, l’exemple à ne pas suivre, l’anti-modèle, un danger pour l’ordre international qui privilégiait alors le colonialisme, le racisme, l’esclavage. Dès lors, il faut empêcher cet Etat de vivre, de fonctionner, de survivre. Il faut l’empêcher par tous les moyens de réussir. Il faut montrer qu’elle n’a pas la capacité de se gouverner. Il faut taire ses réussites et promouvoir ses échecs ».
Le conférencier invite à en finir avec cette vision qui date de 1804 et perdure malgré les changements intervenus au niveau du droit international des principes qui en ce 21e siècle gouvernent les relations entre les hommes, les Etats et les peuples.
« Ce débat devrait se dérouler d’abord au sein de la Francophonie et déboucher sur un consensus sur la vraie nature d’Haïti, sa contribution à la Francophonie et à l’humanité. Car la communauté de la francophonie devrait, elle, se rappeler l’ensemble de l’histoire. Je vous invite, chers amis de la Francophonie, à dilater le regard, à contribuer à une meilleure perception d’Haïti, à lui permettre de sortir de cette malédiction congénitale déclarée dès sa naissance et qui perdure malgré les changements de paradigmes survenus au niveau mondial ? », a renchéri le professeur Deshommes
Par ailleurs, sur le plan sécuritaire, il interpelle la francophonie avec une question pertinente. « Dans le cadre de la solidarité francophone, l’OIF ne pourrait-elle pas promouvoir la signature d’accords bilatéraux avec un ou plusieurs des 88 Etats membres, observateurs et associés de notre vaste communauté francophone pour l’octroi d’appuis spécifiques aux Forces Armées d’’Haïti et à la Police Nationale d’Haïti en termes d’assistance technique, de matériels appropriés, de protection de la population, de contrôle des frontières, de lutte contre la criminalité, contre le terrorisme et les trafics illicites de toutes sortes », a-t-il demandé.
Le professeur Deshommes a tendu la main à la communauté francophone pour solliciter un vrai support en vue de l’implémentation du Projet National d’Haïti. « Dans cette perspective, la remise en selle du Projet National susmentionné, assortie d’une opportune actualisation, constitue une excellente base de travail. Sa mise en œuvre nécessite une mobilisation exceptionnelle au sein de la Francophonie pour accompagner les acteurs haïtiens dans toutes ses dimensions politique, économique, sociale, culturelle », a-t-il fait remarquer.
« Une telle initiative constituerait le meilleur hommage à rendre à ce pays qui s’est tant dépensé pour la reconnaissance des droits des citoyens, des peuples et des Etats à travers le monde et le meilleur témoignage de reconnaissance à ceux qui ont permis à l’humanité de connaitre cette nouvelle ère et de vivre par ces principes dont elle est si fière. Elle contribuerait également à donner un sens concret aux 3 piliers fondateurs de la Francophonie : « solidarité, égalité, complémentarité », a-t-il poursuivi.
Pour finir, il a cru bon de demander, dans un élan de grandeur d’âme et de solidarité, à la France comme principal chef de file de la francophonie de lancer un signal clair et de manifester un réel engagement pour enfin restituer à sa valeur actuelle à Haïti « La Dette de l’Indépendance » et des profits tirés des préférences commerciales extraordinaires obtenues à l’occasion de l’Edit de 1825 du roi Charles X sur la reconnaissance de l’Indépendance d’Haïti.
Par la même occasion le Recteur Deshommes souhaite que des pays comme l’Espagne, le Royaume Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis restituent à Haïti le montant actualisé d’un ensemble de rançons que le pays a dû payer au 19e et a la 1ère moitié du 20e à ces puissances pour des motifs totalement arbitraires.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette intervention :
- Haïti n’est pas que ce chaos auquel on veut la transformer. C’est un pays qui a marqué de manière majeure l’histoire de la Francophonie et celle de l’humanité.
- Plusieurs pays de plusieurs continents, dont les pays francophones ont une dette de reconnaissance envers Haïti. Au moment où la Première République Noire du Monde connait cette situation délétère, il est opportun que ces pays montrent leur solidarité et leur reconnaissance.
- Haïti a encore des ressources financières latentes auxquelles il peut faire appel pour sa régénération. La Dette de l’Indépendance, les rançons payées au 19e siècle et au cours de la première moitié du 20e constituent des créances qu’une bonne diplomatie peut permettre de faire rentrer dans le patrimoine national.
- Il y a lieu d’être optimiste pour le présent et l’avenir d’Haïti en dépit des circonstances actuelles. Il faut toujours rappeler l’importance d’Haïti pour le monde.
- La Francophonie, ce n’est pas la promotion de la langue française. Ses domaines d’intervention ne se cantonnent pas dans la culture et l’éducation. Elle a des ambitions encore plus larges comme la paix, la sécurité, l’Etat de droit,, les droits humains, le développement durable.